LEMME
LEMME
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LEMME

16.05

22.06.22

COUPLE

(Adam Cruces & Louisa Gagliardi)

Fool's

Gold

Images: Romain Iannone

Un monde en velours côtelé
L’or des fous et l’ocre jaune
Fool’s Gold, titre choisi par COUPLE (Adam Cruces & Louisa Gagliardi), a réveillé en moi de vifs souvenirs d’enfance, des heures heureuses passées dans la mine de Lengenbach dans la vallée de Binn. Dans cette mine, j’étais entourée de ce Fool’s Gold, or des fous en français. Je me croyais dans un rêve doré grâce aux gisements massifs de pyrite. Une expérience précoce du pouvoir de séduction de l’imagination et de l’illusion ainsi que de l’immersion dans une autre réalité.

Ici, dans l’exposition de COUPLE à Lemme, Fool’s Gold fait référence à la couleur ocre jaune du velours côtelé dont sont faites toutes les œuvres présentées : deux squelettes, divers objets du quotidien, un coussin et deux œuvres murales. L’or des fous – la pyrite – est un pigment d’une teinte grise qui rappelle l’or à la lumière du soleil, c’est un minéral instable qui se décompose dans une atmosphère humide et riche en oxygène contrairement aux pigments d’ocre qui ont une longue durée de vie et sont malléables. L’ocre était déjà utilisée il y a plus de 70 000 ans comme cosmétique, pour des rituels et dans l’art. Des couches étonnamment épaisses de ce pigment ont été découvertes sur le sol de certaines grottes. Les hommes n’en ont probablement pas seulement peint les murs, mais aussi leur corps. De la pyrite a également été trouvée dans des cavernes, ce minéral étant utilisé comme silex. L’ocre et la pyrite pourraient donc déjà s’être rencontrés dans les grottes de l’âge de pierre. Dans l’installation Fool’s Gold, ils se retrouvent à travers l’omniprésence de la couleur ocre et le titre de l’œuvre. Ces minéraux permettent d’analyser l’installation selon les trois aspects suivants. Premièrement, les deux matériaux sont présents sur l’ensemble de la planète et sont employés par l’homme depuis la nuit des temps, ce qui renvoie à l’universalité et à l’intemporalité de l’installation. Deuxièmement, leurs propriétés en tant que pigments sont opposées – l’ocre est stable, la pyrite ne l’est pas, ce qui provoque une tension entre les différentes temporalités de Fool’s Gold : les squelettes nous transportent dans un passé lointain, tandis que les différents objets du quotidien dans l’habitat du couple créent un lien avec le monde actuel, le numéro 22 du t-shirt faisant même allusion à l’année en cours. Il en résulte l’impression que Lemme est une capsule temporelle. Cependant, à quelle époque se réfère-t-elle ? À 2022, aux années 1980, à la fin du 19e siècle ou à quelque 70 000 ans en arrière ? Troisièmement, les deux matériaux ouvrent des espaces d’imagination et d’illusion, dans lesquels cette exposition nous projette.

Squelettes, objets du quotidien, images
Lorsque l’on s’approche de Lemme, le premier élément qui s’impose est le tissu ocre jaune qui recouvre les squelettes, les objets du quotidien et les œuvres murales. Tous ces éléments semblent émaner d’une même réalité alternative. La douceur du velours côtelé et ses nervures sont comme faites pour donner vie aux squelettes. Pour le coussin et les œuvres murales, les propriétés du velours côtelé sont utilisées pour créer des images, images nourries de citations culturelles qui mêlent des références à l’histoire de l’art, des symboles universels et des motifs de la culture populaire.

La peinture est centrale dans les pratiques artistiques individuelles de Gagliardi et Cruces tout comme dans leur collaboration en tant que COUPLE. Il n’est donc pas étonnant de trouver dans Fool’s Gold différentes références à l’histoire de la peinture. L’installation dans son ensemble peut être lue comme une nature morte : les crânes des squelettes, la pomme réversible, la corbeille de fruits et les différents objets du petit-déjeuner – une tasse, une brique de lait, une tartine beurrée avec un couteau, et si l’on veut, le cendrier avec une cigarette – font partie des motifs récurrents à ce genre.

Comme les nervures du velours côtelé peuvent « se renverser » pour générer différents motifs, la perception de l’image sur le coussin oscille entre une pomme et la silhouette de deux visages – les profils de Gagliardi et de Cruces. De telles images ambigües étaient très populaires à la fin du 19e siècle. La figure réversible sur le coussin est donc une variation d’un motif connu de cette époque, qui fait encore partie du répertoire standard pour illustrer les phénomènes de perception. COUPLE a remplacé le vase de Rubin par une pomme. La pomme est un ancien symbole de fertilité, de sexualité et de tentation. Elle joue également un rôle dans l’histoire de l’art occidental en tant que fruit de la connaissance qui conduit au péché originel et à l’expulsion d’Adam et Eve du paradis. L’image ambigüe sur le coussin peut donc être lue non seulement comme une variation d’un type d’illusion d’optique connu, mais aussi comme une interprétation contemporaine du thème d’Adam et Eve. Cette Apple n’est pas sans évoquer non plus le géant technologique éponyme. De plus, les deux silhouettes de profil entrent inexorablement en dialogue avec les deux squelettes. De quelle manière sont-elles reliées à eux ? Sont-elles les squelettes ?

Avec le motif de la fenêtre, l’une des œuvres murales reprend un thème pictural très apprécié depuis la Renaissance. Traditionnellement, la fenêtre ouvre une représentation du monde dans un espace pictural imaginaire. Depuis l’époque moderne, ce thème a bien entendu été décliné et remis en question d’innombrables fois. COUPLE utilise les relations visuelles particulières que Lemme génère pour créer une double vue de fenêtre qui ne mène cependant que sur le vide : nous, les visiteurs, regardons à travers une fenêtre le squelette, qui regarde à son tour à travers une fenêtre. Mais nous ne pouvons pas voir ce que le personnage voit – car nous n’appartenons pas à son monde en velours côtelé. L’affiche du film d’horreur The Shining (1980) de Stanley Kubrick, visible sur la deuxième œuvre murale, fournit peut-être une clé. Le film se déroule dans l’hôtel historique Overlook, dans les montagnes du Colorado, que Jack Torrance (Jack Nicholson) garde avec sa famille pendant l’entre-saison. Son fils Danny a le « shining », le don de percevoir des choses surnaturelles, ce qui, dans ce cas, signifie surtout des choses effrayantes. COUPLE construit un lien avec ce film dans l’étroitesse claustrophobique de l’espace d’exposition et des montagnes environnantes. L’hôtel Overlook est un lieu qui symbolise à la fois l’horreur (pour ses gardiens pendant la saison d’hiver) et le paradis (pour ses résidents en été). Le film s’est inspiré d’un hôtel construit vers 1900 comme sanatorium dans le Colorado, mais qui, en tant qu’ancienne clinique en altitude, pourrait tout aussi bien se trouver en Valais. Un fil imaginaire se tisse alors entre le couple de squelettes de Lemme et les résidents de l’hôtel du Colorado. Reste à savoir si les squelettes profitent d’une vue sur un paysage paradisiaque ou s’ils contemplent l’horreur droit dans les yeux.

Josiane Imhasly

A World of Corduroy
Fool’s Gold and Ochre Yellow

The title Fool’s Gold that COUPLE (Adam Cruces & Louisa Gagliardi) chose for this exhibition sparked vivid memories of the blissful childhood hours I spent at the Lengenbach mineral mine in the Binn Valley. Surrounded by “fool’s gold” at the mine, I pictured myself in a golden dream world, thanks to the massive deposits of the mineral pyrite. It was an early experience of the seductive power of imagination and deception and of the immersion in an alternative reality.

In COUPLE’s exhibition at Lemme, Fool’s Gold refers to the ochre-yellow colour of the corduroy that covers everything on display: two skeletons, various everyday objects, a pillow, and two wall pieces. As a pigment, fool’s gold – pyrite –has a greyish hue resembling gold in the sunlight and is an unstable mineral (it decomposes in an oxygen-rich and humid atmosphere). Meanwhile, ochre pigments are long-lasting and can be used in a variety of ways. Ochre featured in cosmetics, rituals, and art over 70,000 years ago. Surprisingly thick layers of the pigment have been found on cave floors; people may have used it to paint not only the walls but also their bodies. Pyrite has also been found in caves, where the mineral was used to spark fires. The materials ochre and pyrite could thus have come together during the Stone Age. In the installation Fool’s Gold, they meet through the all-encompassing colour of ochre yellow and the title. Knowing their characteristics is helpful for the analysis of the artwork for three reasons. First, both materials are found all over the planet and have been used by humans since prehistoric times, which points to the universality and timelessness of the installation. Second, as pigments, their properties are antithetical: ochre is durable, but pyrite is not. This aspect suggests the tension between the different parallel times conveyed in Fool’s Gold. The skeletons transport us deep into the past, while the everyday objects surrounding this domestically furnished couple create a connection to today’s world – the number 22 on the shirt even alludes to the current year. The impression this makes is of Lemme as a time capsule. Only the year it represents is unclear: 2022, the 1980s, the late-19th century, or 70,000 years ago? Third, both materials stand for the imagination and illusion, themes that this exhibition also addresses.

Skeletons, everyday objects, pictures
When approaching Lemme, the first thing that catches the eye is that everything on display – the skeletons, everyday objects, and wall pieces – is covered in the same ochre-yellow fabric. This gives the impression that they all spring from the same alternative reality. The soft quality of the corduroy and its ribbed contours are perfect for lending the skeletons a sense of vitality. In the case of the pillow and the two wall pieces, the characteristics of the corduroy are used to generate images. These images are informed by a cultural archive, combining references from art history with universal symbols and pop culture motifs.

Painting is central to the individual artistic practices of both Gagliardi and Cruces and their COUPLE collaboration. So it is not surprising that various allusions to the history of painting can be found in Fool’s Gold. As a whole, the installation can be read as a still life: the skulls of the skeletons, the hidden apple in the reversible figure, the fruit basket, and the sundry breakfast objects (cup, milk carton, piece of toast with knife, even the ashtray with cigarette) are among the frequently used motifs of this genre.

While the corduroy ribs are shifted in direction to produce different images, our perception of the pillow image switches back and forth between an apple and two faces – the profiles of Gagliardi and Cruces. Such ambiguous images were popular at the end of the 19th century. The figure on the pillow is a variation on a well-known motif from that time, which to this day belongs to the standard repertoire used to illustrate perceptual phenomena. COUPLE have replaced Edgar Rubin’s vase with an apple. The apple is an ancient symbol of fertility, sexuality, and temptation, and plays a role in Western art history as the fruit of knowledge, which leads to the Fall and the expulsion of Adam and Eve from Paradise. The pillow image is not only a variation on a familiar type of picture but also a contemporary interpretation of the Adam and Eve complex, the apple also being a nod to the technology giant of the same name. Furthermore, the two profiles inevitably enter into a dialogue with the skeletons – How are they connected? Are they the same as the skeletons?

One of the wall pieces takes up the window motif, which has been popular in painting since the Renaissance. Traditionally, the window opens up an image of the world through an imaginary pictorial space. Since modern times, of course, this theme has been varied and questioned countless times. COUPLE now makes use of the unique visual relationships that Lemme generates to offer a double window view. However, this view is ultimately thwarted: as visitors, we look through a window at the skeleton, which, in turn, looks through a window. But we are unable to recognize what the figure sees – we do not belong to the same corduroy world. Perhaps the movie poster for Stanley Kubrick’s horror film The Shining (1980), which features in the second wall piece, provides a key? The film is set in the Colorado mountains at the historic Overlook Hotel, which Jack Torrance (Jack Nicholson) takes care of with his family during the offseason. His son Danny has the “shining”: the gift of perceiving the supernatural, which in this case means mainly eerie occurrences. COUPLE sees the reference to this film in the claustrophobic confinement of the space and the surrounding mountains. As a setting, the Overlook Hotel simultaneously symbolizes horror (for the winter caretakers) and paradise (for the summer guests). It was inspired by a hotel built in the Rocky Mountains around 1900 that served as a resort and health retreat – as such, it could just as easily be in the Valais. This fact establishes an imaginary connection between the skeletal couple in Lemme and the temporary residents at the hotel in Colorado. Whether the skeletons enjoy the view of a paradisiacal landscape or look horror in the eye remains hidden.

Josiane Imhasly

The installation was realized with the support of SIGG LABS.

Open call: curateur·ice

Deadline: 30 mai 2025

Bourse bisannuelle 
pour curateur·ice
2026—2027

Lemme – œuvre d’art, créée par Pierre Vadi, intégrée à l’architecture de la Médiathèque Valais – Sion, est également un espace d’exposition d’art contemporain dont la direction artistique est renouvelée tous les deux ans. 

Pour faire suite à la programmation de Christophe Constantin, boursier Lemme 2024-2025, la place de curateur·ice est à nouveau mise au concours. Cette bourse bisannuelle vise à dynamiser et renouveler la scène artistique valaisanne, tout en positionnant l’espace d’expositions sédunois sur la scène nationale et internationale.

Cette initiative s’inscrit dans la volonté du Canton du Valais de soutenir et promouvoir les arts visuels. Elle offre une opportunité unique à une nouvelle génération de curateur·ice·s professionnel·le·s de développer leur pratique et de contribuer au dynamisme culturel de la région. Ce programme a pour but de créer des conditions favorables au développement de carrières durables pour les artistes et curateurs·ices les plus prometteurs·es et à favoriser l’émergence de nouvelles tendances dans le milieu de la production artistique contemporaine en Valais.

Les candidat·e·s intéressé·e·s par la bourse Lemme pour la période 2026–2027 peuvent soumettre leur dossier par email à l’adresse : info@lemme.site avec comme objet «OPEN CALL curator» jusqu’au 30 mai 2025.