02.07
→
24.09.22
WELCOME
STRANGER
Avec des œuvres de Flurina Badel & Jérémie Sarbach, Gilles Furtwängler, Dorota Gawęda & Eglė Kulbokaitė, Birke Gorm, Christoph Hefti, Raphael Stucky et Ilaria Vinci.




Dans l’exposition WELCOME STRANGER, Lemme est considéré comme une maison, une habitation. L’exposition regroupe les œuvres de sept artistes suisses et internationaux qui abordent les aspects de la domesticité entre sphère intime et sphère publique. L’emplacement de cette « maison » en tant que vitrine dans l’espace public est également pertinent, de même que sa situation géographique dans la vallée du Rhône, une région à caractère alpin, entre ruralité et urbanité. WELCOME STRANGER met en scène des situations frontalières qui jouent avec les notions du vernaculaire et du folklorique, de l’art et du décoratif, du rural et de l’urbain, de l’appartenance et de l’étrangeté. Ce sont des crossovers qui résistent aux classifications univoques et affirment la complexité des espaces et des identités.
Une enseigne apposée sur le mur extérieur du cube en béton souhaite la bienvenue aux visiteurs de Lemme en six langues. Ici et là, une erreur s’est glissée dans le texte, une petite négligence de la part de l’artiste Ilaria Vinci lors de l’application des lettres à l’aérographe. Cette enseigne à l’allure médiévale, et au dos de laquelle des squelettes de mains trinquent, indique qu’il s’agit d’une auberge – on pourrait également la voir comme un élément décoratif devant la maison d’un passionné du Moyen Âge. Elle fait d’une part référence à une autre époque, pré-moderne, et à un autre lieu, de l’autre côté de la vie : après tout, des morts-vivants boivent ici (voir le titre de l’œuvre : A strange moment of self evaluation… We have met before, on another star, 2020). D’autre part, ce panneau multilingue est bien ancré dans notre présent globalisé, à notre époque de grande mobilité, où des gens du monde entier se rendent à Sion et sont salués dans leur langue. En se référant à l’esthétique des univers fantastiques (Moyen-Âge, science-fiction, etc.), Vinci s’intéresse aux mécanismes sous-jacents de fuite de la réalité.
Le tapis Swiss Mask (2019) de Christoph Hefti s’inspire des masques de carnaval issus des traditions locales de la Suisse archaïque. Le motif d’un masque suisse prototype s’inscrit dans le processus globalisé de production et de commercialisation : les tapis sont noués à la main au Népal et vendus par une galerie bruxelloise à des collectionneuses et collectionneurs internationaux, chez qui les représentations primitives du brave peuple helvétique semblent être très prisées pour l’aménagement de leurs appartements de vacances. Swiss Mask ne correspond toutefois pas aux styles habituels de l’alpenchic ou du cottagecore.





Dans sa série huswif (2021) [femme au foyer], Birke Gorm rassemble des matériaux trouvés tels que de la toile de jute, de la ficelle, des graminées, des clous et des morceaux de métal pour en faire des œuvres murales, jouant avec les images idéalisées de la ruralité. Les objets se rattachent esthétiquement à la tradition de l’Arte Povera, mais ont une orientation résolument féministe. Ils évoquent les éléments décoratifs faits main, que l’on place sur le seuil de la porte d’entrée en guise de bienvenue. Généralement réalisés par des femmes, ils doivent être lus comme un hommage à leur activité de soignantes au sens large du terme.
Flipflop (De Novo) (2018) de Flurina Badel & Jérémie Sarbach se situe également au seuil de l’espace privé et de l’espace public. Les quatre objets hybrides, à la fois sandales et pieds dédoublés, franchissent de manière ludique les frontières entre intérieur et extérieur, corps et objet, privé et public. Les sandales à lanière traversent le temps et l’espace, elles existent depuis des milliers d’années, elles sont les chaussures transculturelles par excellence.





Les coussins-drapeaux de Gilles Furtwängler associent le coussin, objet corporel à caractère domestique, avec le signe public du drapeau. Sur l’une des faces du Coussin-Drapeau (2014) exposé ici, Furtwängler a peint le mot chacal, sur l’autre le mot esprit. On peut les lire ensemble comme « l’esprit du chacal » ou « le chacal de l’esprit ». C’est un drapeau qui invite à l’astuce, à la ruse, et d’une certaine manière à un mode de vie et d’appréhension du monde hors des normes, hors des sentiers battus.
La sculpture Ghost Feeder (I) (2021) de Dorota Gawęda et Eglė Kulbokaitė se trouve elle aussi à bien des égards sur un seuil. Elle reprend la forme des stogastulpiai traditionnelles : des structures en bois sculptées placées aux croisements des routes en Lituanie. Contrairement à une stogastulpiai originale, cette sculpture se caractérise par une esthétique léchée comme celle d’un projet immobilier. À l’époque préchrétienne, ces maisonnettes servaient de « stations pour les esprits », pour les ancêtres et les âmes errantes, pour lesquels de la nourriture était préparée chaque semaine en guise d’offrande. Après la christianisation, elles ont été reconverties en sanctuaires votifs, garnies de croix et décorées de figures chrétiennes.
L’œuvre Tell a Bee (2020) de Raphael Stucky se rattache, par le motif des fleurs et le matériau en céramique, aux thèmes de la domesticité, de la décoration et de l’artisanat. Peintes en noir, les fleurs évoquent ici des offrandes funéraires, et par là même une cérémonie publique et une action collective dans le cadre d’un rituel de deuil. Les fleurs servaient autrefois à souligner le style de vie bourgeois, en témoignent aujourd’hui encore les bouquets luxueux qui décorent maisons et hôtels. Parallèlement, on observe actuellement une tendance plus étendue pour les arrangements floraux naturels qui renouent avec le fantasme d’une ruralité idyllique.
Josiane Imhasly
Avec le soutien de
